Une réforme qui prend son temps : pourquoi le report de la facture électronique n’est pas une surprise
Prévue pour entrer en vigueur à grande échelle dès juillet 2024, la généralisation de la facture électronique en France a finalement été repoussée. Un nouveau calendrier sera précisé courant 2024. Pour les e-commerçants, cette décision peut paraître comme une respiration bienvenue… ou comme une occasion manquée, selon le niveau de préparation de chacun.
Mais au fond, que signifie vraiment ce report ? Quelles sont les implications concrètes pour les e-commerçants, notamment sur les plans administratifs, technologiques ou fiscaux ? En tant qu’ancienne responsable e-commerce d’une DNVB, j’ai moi-même connu les sueurs froides liées à une nouvelle conformité réglementaire — alors autant vous dire que je compatis !
Dans cet article, on décortique ensemble, sans jargon inutile, ce que ce report change (ou pas) pour votre activité e-commerce.
Petit rappel : la facture électronique, comment ça marche ?
Avant de plonger dans les questions de délais, un rappel rapide s’impose — parce qu’entre les PDF, XML, Chorus Pro et autres plateformes partenaires, il y a de quoi s’y perdre.
La facture électronique (ou e-invoicing) ne se résume pas à envoyer une facture en PDF par mail. Il s’agit d’une dématérialisation complète, avec des formats normalisés (comme Factur-X, UBL ou CII), permettant un échange automatisé entre les systèmes d’information des entreprises et de l’administration fiscale. Le but ? Simplifier, fiabiliser, mais aussi mieux contrôler la TVA.
Deux volets entrent en jeu :
- Le e-invoicing pour les échanges entre entreprises françaises assujetties à la TVA.
- Le e-reporting pour les ventes aux particuliers ou à l’étranger.
Ces flux passeront par des plateformes agréées appelées Plateformes de Dématérialisation Partenaires (PDP) ou directement via le portail de l’État : Chorus Pro.
Pourquoi ce report ? Un peu de contexte
Initialement, le calendrier était serré :
- Obligation de réception des factures électroniques pour toutes les entreprises dès 2024.
- Obligation d’émission progressive entre 2024 et 2026 selon la taille des entreprises.
Mais face à la complexité du projet, l’État a finalement décidé — en juillet 2023, via un communiqué de Bercy — de repousser la mise en œuvre à une date qui sera confirmée courant 2024. En cause : le besoin de fiabiliser l’infrastructure technique, de mieux accompagner les entreprises, et sans doute, de limiter les risques d’un démarrage chaotique.
Et franchement ? Tant mieux. Car soyons honnêtes : une grande partie des PME — et encore plus dans l’e-commerce — n’était pas prête.
Ce que cela implique concrètement pour les e-commerçants
Attention, ce report ne signifie pas un abandon du projet. Il s’agit d’un sursis, et non d’une dispense. Voici ce que vous devez avoir en tête :
1. Vous avez plus de temps pour vous préparer
Si vous n’avez pas encore entamé la réflexion sur votre processus de facturation électronique… respirez. Mais commencez. Car même si la date exacte n’est pas connue, l’obligation reste bien d’actualité. Et les chantiers à venir ne s’improvisent pas :
- Faire l’inventaire des formats de facturation utilisés aujourd’hui.
- Vérifier les capacités d’interopérabilité de vos outils (ERP, CMS, logiciels comptables).
- Identifier un prestataire ou une plateforme de dématérialisation compatible.
Astuce : si vous utilisez Shopify ou Prestashop avec un module de facturation, vérifiez avec vos éditeurs si une mise à jour est prévue pour anticiper la réforme.
2. Vos flux BtoC et marketplace resteront les plus complexes
En tant qu’e-commerçant, vous êtes probablement concerné par un mix de situations : vente à des entreprises, à des particuliers, et parfois via des plateformes tierces comme Amazon ou Cdiscount. Résultat : plusieurs types de factures, multiple sources de données, et une complexité de reporting exponentielle.
Le report donne aux solutions logicielles le temps de peaufiner leurs offres – et à vous le temps de bien choisir. Pour les ventes BtoC, l’obligation de e-reporting s’appliquera bel et bien à tous : il faudra transmettre les données de transaction (montants, TVA, etc.) à l’administration. Même si ce n’est pas une facture formelle pour le client.
Dans mon ancienne startup, cela représentait plusieurs milliers de ventes par mois… J’ose à peine imaginer le stress si nous avions dû tout caler en 2024.
3. Ce sursis est une opportunité stratégique
Regardons le verre à moitié plein : ce report vous permet de transformer une obligation légale en avantage concurrentiel. Comment ? En anticipant, vous pouvez :
- Simplifier votre facturation (adieu les erreurs de TVA !).
- Réduire les coûts liés à la distribution des factures.
- Automatiser des tâches comptables chronophages.
- Améliorer les délais de paiement — car oui, une facture bien reçue, c’est une facture vite payée.
Et si vous vendez à l’international, cette refonte peut être l’occasion d’harmoniser vos pratiques avec d’autres pays qui ont déjà adopté la facture électronique obligatoire (Italie, Espagne, etc.).
Quels outils choisir pour se préparer ?
Pas besoin d’attendre le décret officiel pour commencer à équiper votre back-office. Voici quelques pistes à suivre :
- Surveillez vos solutions e-commerce : Magento, Prestashop, Shopify ou WooCommerce proposent (ou proposeront) des modules compatibles e-invoicing. Contactez votre agence ou votre développeur.
- Interrogez votre logiciel de comptabilité : Sage, Quickbooks, Cegid ou Pennylane sont déjà en train de plancher sur des connecteurs avec les PDP.
- Explorez les PDP en cours de certification : comme Libéo, Axway, Billiv, Dext, etc. En choisir un tôt, c’est aussi bénéficier de leur accompagnement étape par étape.
Bon à savoir : vous n’êtes pas obligé de passer par une PDP privée. Chorus Pro reste une option gratuite, mais moins flexible, particulièrement pour les structures avec des volumes de factures importants.
Le rôle clé du back-office et de la donnée
Vous l’avez compris, la facture électronique n’est pas juste une formalité fiscale : elle touche au cœur de vos opérations. Pour les e-commerçants, le vrai enjeu réside dans la qualité de la donnée produit, client et transactionnelle.
Des adresses mal formatées, des taux de TVA incohérents, des statuts clients mal attribués… tout cela peut bloquer les flux automatisés.
C’est peut-être le bon moment pour faire un audit complet de vos bases :
- Vos fiches produits comportent-elles toutes les mentions légales ?
- Les clients sont-ils correctement segmentés en BtoB et BtoC ?
- Vos systèmes de gestion des taxes sont-ils à jour dans votre CMS ?
Oui, c’est une charge de travail. Mais c’est aussi une porte ouverte vers plus de cohérence, de clarté… et donc un service client plus fluide.
Le mot d’ordre ? Anticipation
Alors non, le report de la facture électronique ne doit pas être interprété comme un ticket pour procrastiner. Il doit au contraire être vu comme une incitation à prendre les devants.
Car, soyons réalistes : personne n’a envie de tout bousculer en urgence six mois avant une échéance fiscale. Et dans le monde du e-commerce, où chaque minute compte, mieux vaut répartir les tâches que de les accumuler.
L’époque où l’on imprimait des bons de commande dans un coin du bureau est (heureusement !) révolue. La facture électronique, demain, deviendra aussi naturelle qu’un email de confirmation de commande aujourd’hui.
Alors autant l’apprivoiser dès maintenant.
